IL TROVATORE
Opera de Toulon (2015)
Conductor : Carella
Cast : Ayuanet Puente Meoni Skosa
Set designer : Ciammarughi
Costume designer : Ciammarughi
ORW Liége (2010)
Conductor : Arrivabeni
Cast : Dessi Armiliato Quintero
Set designer : Ciammarughi
Costume designer : Ciammarughi
Teatro Verdi di Trieste (2009)
Conductor : Barbacini
Cast : Hong- Serjan-Pentcheva- Gazale
Set designer : Ciammarughi
Costume designer : Ciammarughi
Direction notes
Comment percevez-vous l’histoire alambiquée de Il Trovatore ?
Il Trovatore ? Ou on aime ou on déteste. Et si on aime, on doit accepter certaines incohérences de l’histoire. En règle générale, l’opéra est aussi synonyme de convention et doit être aimé aussi pour cela.
D’autre part, Il Trovatore est un opéra plein de contradictions où les actions sont racontées et rarement vécues. J’apprécie d’autant plus ces ambiguïtés conceptuelles qu’elles expriment d’importants contrastes entre la musique et la définition quelque peu stéréotypée des personnages.
Mais Il Trovatore est un opéra d’amours douloureuses et malheureuses, un opéra de perdants où personne ne parvient à trouver une solution à sa propre anxiété émotionnelle. C’est l’affrontement des raisons du cœur et de la raison.
J’aime les perdants pour lesquels j’éprouve de la compassion. Et dans cet opéra tous perdent. L'utopie du Trovatore est l’utopie du cœur qui se heurte à la réalité des choses. Par exemple, le protagoniste principal de Il Trovatore, Manrico, a souvent été représenté comme une sorte de héros invincible à la voix aigue, insolente et haut-perchée. Pour ma part, je le considère comme un perdant-né. Il ne réussit pas à retenir les femmes qu’il aime. Dans l’entrée du premier acte, il exprime immédiatement ses doutes sur l’amour que lui vouerait Leonora. Il mourra tout en ignorant une vérité tenue cachée jusqu’à la fin. Ensuite, il est poète, chanteur, amant, un véritable perdant… Je l’aime peut-être plus que tous les autres personnages justement à cause de toutes les contradictions exprimées dans le chant et dans le texte.
La lecture et l’étude du texte original de Gutierrez m’ont été d’un grand secours. Elles m’ont permis de trouver d’autres stimulants pour approfondir et creuser davantage les personnages et de déceler des aspects très intéressants afin de définir leurs caractères respectifs.
Comment avez-vous choisi de mettre en scène cette histoire ?
Je me suis inspiré, avec le décorateur et costumier Alessandro Ciammarughi, du Trovatore que nous avions monté, en 2003, aux Etats-Unis. Quand on nous a proposé de mettre en scène Il Trovatore à Trieste et à Liège, nous avons conçu un aménagement entièrement nouveau et différent. Pourtant, j’ai conservé certaines idées auxquelles j’étais particulièrement attaché comme l’évocation du monde noir créé par la superstition, la magie et la méchanceté des hommes vis-à-vis des femmes, des sorcières et des êtres féminins différents.
Aujourd’hui encore, la différence provoque panique et peur. Tous désirent l’éviter voire l’anéantir. Dans le premier acte au cours duquel le chœur masculin de Ferrando chante « Sur le bord des toits », l’évocation de la peur de la sorcière brûlée se matérialise par un grand œil qui envahit lentement la scène.
Puis la pupille se transforme en lune révélant le monde extatique féminin et amoureux de Leonora. Ce sont comme les deux faces d’une même médaille : la féminité noire, mystérieuse de la gitane Azucena, aux racines archétypes, symbole du rapport probablement morbide entre la mère et le fils, et la féminité amoureuse de Leonora.
Avez-vous opté pour une transposition ? Si oui pourquoi, si non pourquoi ?
En règle générale, je ne suis pas contraire aux transpositions et j’aime les contaminations. J’ai réalisé récemment un Falstaff « swinging London » années 70 très visuel et une œuvre rare de Carafa, élève de Rossini; dont la scénographie s’inspirait d’Andy Wharol, je aussi créé OperaBhutan avec ma production de Acis and Galatea de Handel contaminé avec artistes spécialisé dans le répertorie baroque combiné avec des artiste bhoutanaises, ça a été un ‘énorme défie cultural pour moi. Je crois que la chose la plus importante est la cohérence des choix. Ce n’est pas tant l’attrait scénique de la transposition forcée qui souligne une certaine audace créative mais plutôt la fidélité à une conception unitaire, le courage de faire vibrer les émotions archétypes enfouies en chacun de nous.
En tant que metteur en scène, comment ressentez-vous la musique de Verdi, l’utilisez-vous comme soutien à l’histoire ?
Verdi est le meilleur metteur en scène de ses opéras. La parole scénique et les indications agogiques de la partition sont une aide précieuse pour tous les metteurs en scène qui aiment la musique. Ma connaissance de la partition remonte à bien longtemps puisque que je l’ai jouée non seulement en tant que répétiteur remplaçant mais aussi en tant qu’assistant de scène. Je crois également avoir donné, enfant, quelques coups de marteau sur une paire d’enclumes.
Il convient d’aimer inconditionnellement ce texte qui, plus qu’aucun autre, représente le concept de l’opéra dans le sens le plus romantique du terme. Trouver des explications excessives ou se moquer de manière snobe de certaines étrangetés déconcertantes du texte signifie sous-évaluer l’énorme portée de cet opéra qui joue un rôle de tout premier plan dans la conscience de notre civilisation. Je crois qu’aucun autre opéra que Il Trovatore n’est en mesure de s’inscrire avec autant de force dans notre DNA culturel
Est-ce que les questions sont claires pour vous ?
Il Trovatore fait partie des opéras les plus difficiles que j’ai mis en scène. Il s’agit d’un opéra qui a quatre protagonistes et une trame compliquée. Le metteur en scène a le devoir de savoir raconter une fable ancienne ainsi que de réveiller et de faire vibrer les cordes sensibles assoupies de notre monde intérieur.
Nous vivons dans un monde qui a peur de s’émouvoir et de s’exalter. Le rire et les pleurs sont considérés comme l’expression d’une certaine pauvreté intellectuelle et l’on tend à « refroidir » tout, de peur de dévoiler un monde fait de fragilités et de peurs. J’espère remettre au goût du jour cette liberté de l’émotion. Les histoires racontées par Verdi prendront toujours le dessus sur le nivellement homologuant de notre société.